II. LA PSYCHOLOGIE DES PERSONNAGES

Publié le par tpesurraiponce

 

Le personnage de Raiponce est le personnage central dans les deux oeuvres. Cependant nous notons quelques différences majeures, principalement sur les actions et réactions du personnage, entre la Raiponce de papier et la Raiponce d'image de synthèse. Les voici:

 

 

 

RAIPONCE:

Dans le conte: Raiponce est un personnage naïf et soumis à la sorcière. Elle a vécu jusqu'à ses 12 ans dans le monde extérieur. Paradoxalement, elle ne cherche pas à sortir de sa tour, et passivement, elle accepte sa situation. Elle ne fantasme pas sur le monde de dehors: son caractère est effacé, en témoigne le manque d'opposition envers sa mère (elle la laisse l'enfermer; ne se défend pas, ni elle ni son prince, quand sa mère lui coupe les nattes dans le but de piéger son visiteur ) . Elle est surtout très dépendante des autres: elle accepte de se marier avec son prince pour survivre dans la société, par exemple.

 

Dans le film:  Raiponce a vécu 18 ans dans la tour et a toujours voulu s'ouvrir au monde et plus particulièrement découvrir "Les Lumières" qui apparaissent le soir de chacun de ses anniversaires. Le voyage qu'elle vivra pour aller les admirer  est plus une quête identitaire qu'un périple Mère Goethel lui cache d'ailleurs que cet événement est en son honneur, car en effet, ses parents l'organisent dans le but qu'un jour, elle revienne au royaume. Elle n'a aucun souvenir du peu de temps passé avec ses parents après sa naissance et est persuadée que Mère Goethel est sa véritable mère. Elle lui est affreusement fidèle, hésitant à se rebeller contre sa séquéstration.Raiponce est un personnage à forte dualité, bien incapable de choisir entre rester avec sa mère, dans la sécurité, et partir explorer le monde, sortir de son quotidien. Une scène est bien équivoque dans ce film: à peine sortie de sa tour, une fois l'excitation de la transgression retombée, Raiponce angoisse face à la probable réaction de sa mère (extrait 8) Tout au long du film, elle est assimilée à une fleur qui grandit et va éclore: d'abord, sa mère l'appelle "ma petite fleur"; de plus elle-même est faite d'une fleur magique, née d'une goutte de soleil. Sa chevelure d'or peut d'ailleurs être perçue comme un cordon ombilical, la reliant au soleil. Il doit être coupé afin de permettre à un nouvel être, en l'ocurrence ici une nouvelle Raiponce, de naître. C'est pourquoi la présence de Raiponce est lumineuse et gaie. Ses premiers pas au dehors de sa tour la mènent d'ailleurs à un ruisseau. Or le soleil et l'eau sont bien les éléments nécessaires pour qu'une fleur pousse et s'épanouisse. Peu importe où elle se trouve, Raiponce apporte toujours le rêve et la joie (extrait 9). Elle peut être considérée comme candide et enfantine, mais une grosse partie d'elle ne veut que s'échapper et arriver à maturité.

Cependant Raiponce ne devient femme qu'après avoir frôlé la mort, été attaquée à plusieurs reprises et surpassé plusieurs épreuves. Dans sa tour, elle voyait le monde de haut et il ne lui semblait pas dangereux; une fois dehors, elle déchante peu à peu. La tour peut être vue comme une métaphore de l'enfance, où tout paraît simple car vu de loin, alors que le monde réel est le terrain de la vie adulte avec ses dangers (Raiponce poursuivie), ses peurs (la mort est frôlée) mais aussi ses moments de joie (la danse du Royaume). La hauteur de la tour représente les difficultés de la vie, souvent grandes et plus ou moins faciles à surmonter. Sa chevelure, coupée à la fin du film, est le point culminant de sa transformation en femme: finie la longue chevelure dorée, typique des petites filles, bonjour la coupe garçonne résolument adulte, prouvant sa maturité et son auto-affirmation.

 

 

LES PARENTS:

Dans le conte: Les parents de Raiponce l'abandonnent après avoir conclu un marché avec la sorcière, le père ayant volé dans son jardin par amour pour sa femme: on voit ainsi qu'ils ne sont que des appuis servant à l'édification de l'histoire. Après cet épisode, le conte fait abstraction des parents, et Raiponce, pourtant consciente que la sorcière n'est pas sa vraie mère ("ma vieille mère-marraine"), ne tente pas de les retrouver. Quant à la mère de Raiponce, on peut voir en son personnage une dénonciation des caprices de la maternité: en cédant à ses envies incontrôlables, et en entraînant avec elle son époux, elle perd l'enfant si intensément désiré et ne gagne au final qu'un plaisir culinaire.

Dans le film: Raiponce est subtilisée au Roi et à la Reine, enfant, par Mère Goethel qui ne la veut que pour sa chevelure magique lui permettant de rester jeune. Ses royaux parents, déséspérés par ce précieux vol, mettent tout en oeuvre pour la retrouver, et instaurent notamment la tradition des Lumières, qui consiste à lancer chaque année, le jour de l'anniversaire de leur princesse, des lanternes dans l'air, espérant ainsi son retour. C'est lorsque la mère, enceinte de Raiponce, tombe malade, qu'il lui faut absorber une fleur magique aux vertus guérissantes qui sera transférée dans la chevelure de son enfant. Il ouvrent et ferment le film: leur fille leur est subtilisée, puis rendue. Ils sont les piliers du film, discrets mais veillants et nécessaires. 

 

 

 

 

LA FIGURE MATERNELLE :

Dans le conte: La sorcière n'a aucune identité, ou du moins aucun nom: Raiponce elle-même ne la considère pas entièrement comme sa mère ("Celui-ci m'aimera sûrement mieux que ma vieille mère-marraine"), preuve qu'elle est lucide sur le statut de cette femme .  La sorcière est plus humaine, en témoigne son désir de maternité qui justifie alors le marché fait avec le père de Raiponce: ainsi, elle obtient l'enfant de façon loyale. Par ailleurs, Raiponce est enfermée dans cette tour par possession affective: la sorcière veut la garder pour elle seule mais ne tire aucun profit de son emprisonnement. Cependant, après que sa fille l'ait trahie en laissant le prince entrer dans sa tour, elle devient contre elle furieuse et l'isole encore plus (elle s'en alla déposer Raiponce dans une solitude désertique, où elle l'abandonna à une existence misérable et pleine de détresse.) : son instinct maternel se brise alors.

 

Dans le film:  ici la figure maternelle a un nom, et donc une identité à part entière. Son personnage a une place très importante dans le film et, si Raiponce était un homme, il serait évident de dire que sa mère est castratrice: elle rabaisse sans cesse sa fille en insistant sur son apparence fébrile et gamine (extrait 10) l'interrompt constamment, la juge incapable de se débrouiller sans elle, l'isole du monde extérieur et se glorifie (extrait 11): un culte de la personnalité est presque en vigueur, tant elle hyperbolise son rôle protecteur. Raiponce, âgée de 18 ans, n'arrive pas à s'imposer. Même la rêverie lui est interdite: par exemple, Mère Goethel remplace l'appellation "Lumières" par "Etoiles", phénomène physique naturel. Elle veut ainsi empêcher l'imagination de Raiponce de vagabonder pour se focaliser sur la réalité qu'elle lui offre: une vie sécurisée dans une tour isolée. Elle lui dit l'aimer mais il est facile de se demander si cette affection serait aussi forte sans la magie des cheveux de Raiponce. La mère subit comme un dédoublement:  il existe bel et bien en elle une mère aimante et une malveillante. Un syndrôme de Stockholm, même minime, pourrait être décelé entre la mère et la fille: Raiponce pleine d'amour et d'admiration pour sa mère qui la garde captive, et  trouvant sans cesse des excuses à son comportement, à la différence que Mère Goethel n'est pas ici une goêlière à proprement parler, car sa prisonnière la voit comme sa mère. Une certaine rivalité semble être de mise entre les deux femmes: tandis que Raiponce est à l'aube de sa jeunesse et de sa beauté, Mère Goethel est une femme aigrie apeurée par l'idée de n'être plus ni jeune ni belle. Comme évoquée précédemment,  la personnalité de la Mère Goethel se rapproche de celle de Dorian Gray, mettant son destin dans une fleur, puis dans les cheveux de sa fille: "ma petite fleur" est par ailleurs le surnom qu'elle attribue à la jeune fille tout au long du film. Constatant la disparition de sa fille, elle décide de l'effrayer pour l'écoeurer du monde extérieur une fois pour toutes et va jusqu'à faire un  marché avec des brigands pour la ramener à la maison; elle n'hésite pas à lui briser le coeur et tente de l'emprisonner une nouvelle fois après l'avoir récupérée; elle use aussi de la violence contre elle, en la baillonnant. Nous pouvons alors détecter dans le personnage de Mère Goethel un certain sadisme. Vers la fin du film, alors que Raiponce découvre qu'elle n'est pas la fille de cette femme, le miroir de leur habitat se brise, (extrait 12) représentant métaphoriquement la relation mère-fille insécure qui les liait. Durant son périple, Raiponce aura rencontré finalement peu de "bandits, voleurs, cannibales, d'hommes aux dents pointus" comme sa mère les décrivait en chanson, à l'exception d'une: sa propre Mère Goethel.

 

 

LA FIGURE MASCULINE:
Dans le conte: la figure masculine est un prince: il représente le pouvoir, la richesse, l'autorité. En s'introduisant dans la tour de Raiponce, il l'entraîne à cacher la vérité à sa mère. Il va changer la vie de Raiponce, car il est le seul à venir modifier son quotidien. Ce prince vit un coup de foudre pour la Raiponce: il l'entend chanter et en tombe immédiatement éperdumment amoureux. S'il s'introduit dans sa tour par la ruse, il n'en est pas puni car une relation secrète débute avec la prisonnière: il la vient voir chaque soir et gagne son affection . Cependant, il nous est permis de penser que Raiponce n'est pas vraiment éprise du prince mais juste avide de nouveauté ("voyant qu'il était jeune et beau, elle pensa : « Celui-ci m'aimera sûrement mieux que ma vieille mère-marraine»). Seulement, Raiponce est une femme au XIXe siècle et son seul moyen de s'en sortir et de vivre une véritable vie est d'être épaulée par un homme. Ainsi, la jeune fille, si elle accepte la vie aux côtés du prince, apparaît une fois de plus comme auto-insuffisante et l'homme comme son pygmalion, qui va l'aider à vivre une vie autre que celle toujours connue. Son suicide  manqué  attire la pitié pour ce personnage malheureux en amour, et son handicap (il devient aveugle) ne le rend que plus brave aux yeux du lecteur. 

Dans le film: la figure masculine est mise au service du personnage de Raiponce à travers celui de Flynn Rider, brigand voleur et malhonnête, égocentrique et prétentieux. Il est représenté comme un jeune homme séduisant, sûr de lui et de son charme, et est une parodie de l'homme moderne, effeminé et obsédé par son physique, en témoignent ses cheveux longs et l'importance attachée à son nez . S'il tentera à plusieurs reprises d'utiliser de son pouvoir de séduction sur la jeune fille, ses tentatives seront toujours infructueuses, ce qui le déstabilisera. Il apparaît tout d'abord au spectateur comme confiant et fort, mais plus le film avance, plus les masques tombent: une confiance mutuelle se lie entre Raiponce et lui après qu'ils ont frôlé la mort et elle est la première personne à qui il avoue sa véritable identité, celle d'Eugène Fitzherbert, orphelin rêvant d'aventures et d'héroïsme, mais "qui n'avait rien" (extrait 13). Il est aussi le premier et le seul à qui Raiponce fait part du pouvoir de sa chevelure, chose qu'elle considère comme son ultime secret.  Au fil de leur aventure, des sentiments amoureux se nouent entre eux deux, allant même jusqu'au mariage. Par rapport au conte, le rôle dominant est inversé, Raiponce étant la princesse et Flynn le personnage moyen. Quand, à la fin du  film, il coupe la chevelure de Raiponce, un parallèle avec le mythe  biblique de Samson et Dalila peut être établi: il serait Dalila, "castrant" Raiponce, dont la chevelure lui apportait une force considérable. Cette nouvelle coupe fait de Raiponce une personne privée de sa magie, et donc normale, ce qui, dans le film, lui sied, contrairement à la légende biblique dans laquelle Samson meurt.

 

 

LES SYMBOLIQUES DANS LE CONTE ET LE FILM:

Dans le conte: Une forte symbolique sexuelle est présente dans le conte, alors que Raiponce est enfermée à l'âge de douze ans, début de la puberté, dans une tour. Les allers et retours qu'y fait la sorcière sont significatifs de la place de la mère dans cette période de l'adolescente: la présence d'un appui féminin supérieur y est importante. Le prince, qui pénètre dans la tour quelques années plus tard, est le premier homme que rencontre Raiponce. Cette relation marque ainsi le début de la sexualité et de l'entrée dans la vie de femme de Raiponce, suivie aussitôt par la maternité. Ici, le fait que Raiponce porte des jumeaux, qui plus est un garçon et une fille, n'est pas choisi au hasard: elle devient ainsi génitrice, symboliquement pour sa mère adoptive et pour elle-même.

De plus, le jardin dans lequel poussent les raiponces est clairement le symbole de la maternité, encore plus explicite ici à la vue du nom de Raiponce. Ces plantes sont comme l'enfant porté par la sorcière.

Dans le film: cette trame n'est pas aussi exploitée: cependant, le spectateur assiste au développement des sentiments amoureux entre Raiponce et Flynn, qui marquent le passage de Raiponce de l'enfance au monde adulte, et la maturation de Flynn, voire sa rédemption.

Un conflit oedipien est aussi présent dans le film, tandis que la mère et la fille semblent être en compétition: qui sera la plus belle, la plus jeune des deux? La présence de Flynn permet l'entrée de Raiponce dans une sphère "sexuelle" ou du moins sentimentale, qui l'envoie hors du monde enfantin. La boucle est bouclée dans les dernières minutes, avec l'émancipation ultime de Raiponce: ses longs cheveux blonds, caractéristiques des petites filles sages, se transforment en un carré brun, Mère Goethel est écartée, et sa relation avec un homme se concrétise.

 


  • Bruno Bettelheim, célèbre psychanalyste notamment connu pour ses analyses des contes de fées, déclarait: "Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu'exige notre passage de l'immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d'abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts." Cette phrase se révèle véridique, le conte étant destiné à des enfants pouvant ainsi se retrouver, inconsciemment, dans les personnages principaux: Raiponce débute l'histoire en tant que jeune fille sans libre arbitre, et le finit en femme devenue mère. Le passage de l'immaturité à la maturité est ici "respecté", Raiponce évoluant dans le conte sous nos yeux. Cette transformation est reprise dans le film, sous forme d'un périple qui mène à la vie d'adulte. Sur le conte Raiponce, il avait, plus spécifiquement écrit que "personne ne s'inquiète de savoir pourquoi la sorcière de Raiponce veut arracher l'enfant à ses parents ; tel est le sort de Raiponce, c'est tout", à savoir: les contes, et celui de Raiponce en particulier, n'arrivent pas pour des raisons particulières, mais les actes qui en découlent, eux, sont empreints de symbolique et d'inconscient.
  • Pierre Péju disait de la forêt dans les contes qu'elle était le symbole d'une quête initiatique menant l'Homme à l'orée de son destin, lui permettant de suivre le schéma Séparation, Attente, Intégration. La forêt dans laquelle erre le prince une fois aveugle et séparé de Raiponce suit cet ordre, l'épreuve qu'il y vit lui permettant dans le futur de vivre une vie heureuse, réuni avec celle qu'il aime. Ce passage par la forêt marque la fin d'un personnage et le début d'un autre, et est l'ultime épreuve permettant la réunion des deux amants.  
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